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Terriblement obéissant, ce soir, Joakim suit à la lettre les recommandations de son ami en rentrant très vite chez lui pour remplir avec hâte un large sac à dos de quelques objets personnels dont il ne souhaite pas être séparé. Les disques durs de son ordinateur fixe surtout… Mais aussi d’autres babioles plus superficielles.
À voir Alucard grincer du bec tandis qu’il remplit nerveusement son sac, on aurait pu croire que son oiseau débile avait compris qu’il ne reverrait plus son maître pendant un long moment. Affectueusement et sans un mot, Joakim lui caresse alors le haut du crâne du bout des doigts avant de filer hors de sa chambre pour détaler de chez lui. Son père n’est pas sur place et c’est tant mieux, en un sens, parce que l’adolescent n’est pas en étât de subir de longs au-revoirs ou embrassades désespérées, voire des crises de colère et de panique. Il ne sait pas vraiment comment son père réagirait à une annonce de départ et ne souhaite pas prendre la peine d’y songer, préférant mettre le concerné sur le fait accomplit. Il l’appellerait dès son arrivée à New-York, et voilà.
Dans la vie, la seule façon de se relever, c’est d’avancer sans se retourner.
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L’avantage de vouloir voyager si tard, c’est que l’aéroport est clairement moins bondé qu’aux heures de pointe, mais ce n’est pas pour autant que Joakim n’a pas patienté près d’une demie heure pour acheter son billet, réserver sa place et au passage, enregistrer son sac à dos, car celui-ci était apparemment trop lourd pour aller en cabine avec lui.
Il est désormais en salle d’attente et quelques personnes l’entourent, toutes assises sagement en attendant leurs embarquements respectifs. Trop épuisé, physiquement et moralement pour s’occuper en observant ce qui l’entoure, Joakim reste impassible sur son siège, l’air vide.
Mais de quoi seront donc faits ses lendemains ? Avait-il vraiment envie de le découvrir ?
Blasé, il commence à se demander si cette décision de s’envoler ce soir pour New-York est ce qu’il pouvait faire de plus réfléchi. Il est vrai qu’en temps normal, il posait le pour et le contre de chaque décision, plutôt deux fois qu’une, mais vu que désormais sa vie était tout sauf dans la normalité de ce qu’il avait connu avant…. Il restait sceptique.
Le regard pleins de regrets et d’espoir, il jette un œil sur le cadran de son téléphone en se disant que celui-ci n’avait jamais été aussi silencieux que ce soir. Et dire qu’il n’y a pas si longtemps de ça, l’adolescent devait snober la plupart de ses amis pour avoir un peu de solitude, voilà que désormais, ces appels et discussions incessantes lui manquaient comme c’est pas permis.
– Joakim ?! Toi ici !!!!
La tête blonde d’Amy Wills le sort soudain de ses rêveries et il se relève sans attendre pour lui faire la bise et la saluer comme il se doit. Elle est en compagnie d’un homme d’un certain âge et Joakim découvre lors des présentations que la petite blondinette avait finalement su tracer son chemin loin de lui et plutôt bien, en plus. Tout avait l’air de rouler pour elle et il n’en était pas mécontent. Elle le méritait.
Se croisant tous les deux à l’aéroport de Los Angeles à une heure pareille, les deux vieux amis n’avaient pas besoin de parler des raisons réelles qui les menaient ici. Ils se contentaient donc de s’asseoir sagement cote à cote pour patienter ensemble tout en se racontant mutuellement qu’ils partaient ce soir pour… ; se consacrer à la musique en Utah, ou rejoindre une école réputée à New-York. Le reste ne comptait plus. Le reste ne devait plus compter. Ils devaient oublier…
Jamais regarder en arrière, jamais… Regarder en arrière.
Amy souriait légèrement. Elle semblait assez heureuse et moins rongée par sa rupture avec sa meilleure amie ainsi que son besoin de fuite. Elle voyait dans ce voyage une fuite salvatrice vers un avenir meilleur et sa relation amicale, voire carrément presque familiale, avec son manager, lui faisait un bien fou. À ses côtés, elle se sentait puissante et accompagnée.
Elle n’était plus seule et se raccrochait à ça..
Joakim aurait bien aimé en ressentir autant, car lui n’avait pas vraiment cette présence-là pour l’aider à se relever. Ou alors s’il l’avait eue, il l’avait perdue elle aussi… Noah, Trisha. Ces deux-là étaient ceux pour qui il aurait toujours sû gravir des montagnes et traverser des vallées. Son minois s’assombrissait à nouveau et Amy le remarquait, l’air inquiet,
– Est-ce ça va ? Faudra qu’on se maile ou textote de temps en temps quand même ! Est-ce que tu penses qu’on pourra garder le contact.. ?
– Bien sûr.
– Ouf alors !! Et quand tu seras célèbre, je viendrais te sucer ton fric en niaisant devant la presse, je dirais que je me suis tapé le grand chercheur que tu es. Grâce à toi, je serais riche !
Joakim laisse échapper un petite rire et Amy reprend presque aussitôt, l’air plus sérieux, cette fois,
– On n’est pas finis, Jo. Ce n’est que le début. Et ils nous regretteront ! Je te jure qu’ils nous regretterons !
La jeune fille termine sa phrase sur une intonation chantante, tout en se relevant de son siège pour se mettre à faire une interprétation personnelle de Cups, la chanson rendue célèbre par Anna Kendrick dans le film Pitch Perfect !